L’interview ci-dessous, publiée à l’occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de la torture le 26 juin, marque le coup d’envoi de l’initiative multimédia Voices for Human Dignity. Cette initiative célèbre le 40e anniversaire de la Convention contre la torture (1984-2024) en amplifiant les voix des survivants de la torture, des experts et des militants. Source : OMCT
Le Dr Alice Edwards est en première ligne dans la lutte contre la torture au niveau mondial depuis plus de 25 ans. En tant que Rapporteuse spéciale actuelle des Nations unies sur la torture, elle s’attache à lutter contre ce crime dans les zones de conflit, à réglementer l’équipement utilisé par les forces de police pour commettre des actes de torture et à améliorer les conditions de détention partout dans le monde. Alors que la Convention contre la torture célèbre son 40e anniversaire en 2024, elle se livre à une réflexion sur les progrès réalisés, mais aussi sur les difficultés persistantes auxquelles se heurte ce traité à travers le monde et partage sa vision d’un avenir où la torture n’existe plus.
Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer dans la lutte contre la torture ?
Je suis impliquée dans le domaine des droits humains et de la prévention de la torture depuis plus de 25 ans, incitée par des conflits mondiaux comme ceux en Bosnie et au Rwanda pendant mes années à l’université. Ma famille et mes amis ayant été touchés par ces conflits, mon parcours vers les droits humains a été très personnel.
La Convention contre la torture arrive à son 40e anniversaire ; quelle différence a-t-elle faite au cours des quatre dernières décennies ?
La Convention contre la torture est un instrument fantastique qui a été élaboré dans les années 1980 en réaction à la torture que les dictatures en Amérique latine utilisaient pour faire taire les opposants politiques. Elle donne un cadre clair aux États pour prévenir la torture et a aidé de nombreux pays à combattre et presque éradiquer ce crime.
Mais la torture est toujours pratiquée. Que faut-il changer ?
Si la torture existe toujours, c’est en partie parce que les membres des forces de l’ordre, comme les policiers ou les gardiens de prison, sont mal formés. La torture est aussi parfois utilisée pour opprimer l’opposition ou dans le contexte d’un conflit armé pour réprimer les populations. Elle peut être éradiquée grâce à une éducation, une formation et de nouvelles techniques policières appropriées, ainsi qu’à un soutien aux victimes. La Convention aide les États à mettre en œuvre ces changements en leur donnant un cadre clair pour l’éducation et la sensibilisation de la population.
En quoi les organisations de la société civile sont-elles indispensables dans ce travail ?
La torture n’est pas seulement un crime contre des individus, elle détruit aussi des communautés. Les organisations de la société civile sont essentielles pour sensibiliser, plaider en faveur du changement, demander des comptes aux gouvernements et soutenir les victimes. Elles jouent un rôle capital dans la réadaptation et en apportant un soutien à long terme aux survivants.
Quels sont vos espoirs pour l’avenir de la Convention et du mouvement de lutte contre la torture au sens large ?
Nous nous rapprochons de la ratification universelle de ce traité. C’est-à-dire que seule une poignée de pays ne l’ont pas encore signée. Les États qui ont ratifié la Convention doivent poursuivre leurs efforts pour réformer les prisons, former les forces de l’ordre et faire en sorte que la torture soit reconnue comme un crime interdit à quiconque pour quelque raison que ce soit. Certains font un travail très positif. Dans certains pays, la torture est pratiquement éradiquée. J’espère qu’avec les conseils fournis par la Convention contre la torture, elle sera éradiquée partout, et que les gouvernements se rendent compte qu’elle est inefficace, qu’elle sape la société et qu’elle est nuisible à long terme.
Quels sont les problèmes les plus urgents à résoudre que vous avez observés concernant la torture dans le monde ?
Il y a plus de guerres dans ce monde qu’à aucun autre moment depuis 1945 et la création de l’Organisation des Nations unies. Dans ces guerres, je vois une prévalence de la torture à une échelle totalement inacceptable, et notamment des formes graves de torture sexuelle. Le deuxième sujet de préoccupation concerne la brutalité policière lors de manifestations et de protestations pacifiques. Aujourd’hui, de plus en plus de citoyens descendent dans la rue parce qu’ils ne sont pas satisfaits de leur gouvernement, qu’ils sont mécontents des hausses de prix ou pour se battre pour les droits humains ou le changement climatique. Ils font parfois face à une répression violente.