Déclaration conjointe
Genève, le 26 mars 2020 – Eu égard aux conséquences potentiellement dramatiques du Covid-19 dans de nombreuses prisons sur le continent africain, l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et les membres du réseau SOS-Torture en Afrique lancent l’alerte et demandent l’adoption de mesures urgentes pour protéger détenus et personnel pénitentiaire.
Face à la pandémie de Covid-19, plusieurs pays d’Afrique ont récemment pris des mesures préventives pour éviter une propagation qui pourrait être fatale pour les populations. Alors que ces mesures doivent encore être adaptées aux réalités socioéconomiques, notamment pour ce qui est des couches les plus vulnérables, la situation des personnes privées de liberté est très préoccupante.
Dans la quasi-totalité des cas en Afrique, le système carcéral n’offre pas les garanties pour le respect des mesures d’hygiène et de distanciation sociale préconisées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Il est ainsi à craindre que la plupart des mesures récemment décrétées par plusieurs gouvernements africains pourraient être inopérantes dans les prisons, notamment en raison d’infrastructures vétustes dénuées de facilités hygiéniques appropriées pour le lavage des mains par exemple, de la surpopulation carcérale, et de l’insuffisance des moyens sanitaires mis à la disposition des établissements pénitentiaires en vue de répondre de façon adéquate à l’apparition de cas de Covid-19 en leur sein.
Surpopulation et manque d’hygiène : l’urgence est au désengorgement des prisons
La surpopulation dans nombre de prisons en Afrique constitue le premier risque de propagation de la maladie en milieu carcéral. En Côte d’Ivoire par exemple, la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), d’une capacité d’accueil de 1.500 places, compte plus de 7.000 pensionnaires. De même, en République Démocratique du Congo (RDC), la Prison centrale de Makala à Kinshasa ou celle de Matadi comptent respectivement plus de 8600 détenus pour une capacité d’accueil de 1.500 personnes et 800 personnes pour une capacité de 150 personnes.
Il en va de même au Togo à la prison civile de Lomé, dont la fermeture a récemment été recommandée par le Comité contre la Torture et au Cameroun, dans les prisons centrales de Douala et Kondengui. Toutes ont un taux de surpopulation allant de 310% à 400%, avec parfois des cellules de 4 m2 accueillant près de 22 détenus.C’est dire que dans toutes ces prisons, la promiscuité qui facilite déjà la transmission de plusieurs maladies contagieuses, dont la tuberculose, pourrait faciliter la propagation du Covid-19. Dans chacun de ces pays, les gouvernements ont pourtant interdit tous les rassemblements, réunions, célébrations, de plus de 20 à 50 personnes sur les lieux publics. De plus, les coupures d’eau et d’électricité, la faible aération et ventilation au sein des cellules sont autant de facteurs qui font penser que les lieux de détention sont hautement vulnérables.
La tentative d’évasion, le 20 mars dernier, des détenus de la Maison d’arrêt de N’Djaména au Tchad démontre bien la peur qui les anime actuellement face au risque de contamination qu’ils courent. En revanche, l’intervention violente des forces de l’ordre qui ont fait usage de balles réelles, causant la mort de sept personnes et plusieurs blessés, reflète l’inadéquation des réponses proposées par les États dans ce contexte. Il conviendrait dès lors de décongestionner les prisons afin de pouvoir mieux appliquer les mesures préventives préconisées par l’OMS.
Entre interdiction de visites et accueil de nouveaux détenus : insuffisances et failles
Au Niger, au Tchad et au Burkina Faso, les visites ont été interdites dans toutes les maisons d’arrêt et de correction, en vue de limiter les risques de contamination par les membres des familles des détenus. En revanche, ces mesures ne prévoient pas un espace de confinement, de séparation ou de dépistage pour les nouveaux détenus déférés pendant cette période. Il n’est pas exclu qu’un nouveau détenu soit source de contamination au sein des prisons, à la fois pour les autres détenus et pour le personnel pénitentiaire.
En Côte d’Ivoire, les autorités ont annulé toutes les visites au sein des prisons et prescrit un confinement de 48h de tout nouveau détenu avant son intégration dans les cellules, mais sans exiger un dépistage préalable.
En RDC, au Togo et au Cameroun, aucune mesure n’a été prise pour interdire les visites dans les prisons et les Parquets continuent d’y envoyer les personnes soupçonnées d’infractions. Le personnel qui effectue les fouilles corporelles ne dispose d’aucune mesure de protection. Le contact entre les prisonniers et les visiteurs n’est pas non plus sécurisé.
Au regard de l’urgence pour la santé publique et des mesures prises dans certains pays comme l’Iran ou la Tunisie en faveur des détenus, les signataires estiment qu’il y a urgence d’agir immédiatement pour préserver la vie des détenus, du personnel pénitentiaire, de leurs familles et plus largement des sociétés concernées.
Dans ce sens, ils recommandent aux décideurs africains, notamment
Aux Chefs d’État et de gouvernement, de :
- Prendre urgemment des mesures de décongestion des prisons, notamment des mesures de libération conditionnelle, des mesures de grâce et d’amnistie ;
- Enclencher une inspection des lieux de détention pour libérer tous les cas irréguliers ;
- Doter les établissements pénitentiaires de moyens financiers et d’approvisionnements en eau et savon ;
- Doter les prisons des équipements nécessaires pour dépister les cas de personnes contaminées au coronavirus, qu’il s’agisse de visiteurs ou de nouveaux incarcérés ;
- Rendre effectif le diagnostic médical systématique dès l’entrée en prison, conformément à la Règle 30 de l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des prisonniers.
Aux Parquets et Juridictions, de :
- Libérer les détenus qui ont déjà purgé la moitié de leur peine, ainsi que ceux qui sont dans la tranche d’âge à risque et dont la détention n’est plus nécessaire;
- Libérer les détenus d’opinion, y compris les prisonniers politiques et les défenseurs des droits de l’Homme.
Aux Institutions Nationales des Droits de l’Homme :
- De veiller au respect des droits des détenus en conformité aux mesures de prévention du coronavirus.
Aux Chefs d’établissements pénitentiaires, de :
- Mettre en place des alternatives (téléphoniques, épistolaires, etc) pour lutter contre l’isolement des détenus et leur permettre de communiquer avec leurs proches et leurs familles ;
- Augmenter la capacité de diagnostic et de suivi médical au sein des prisons, comme demandé par l’OMS et en particulier, accroître les mesures de protection des détenus dont le système immunitaire est fragilisé, comme ceux atteints du VIH ou de la tuberculose ;
- Assurer un suivi social et sanitaire des personnes libérées, dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de santé publique ;
- Protéger de façon adéquate le personnel pénitentiairecontre la contamination par le virus en les dotant du matériel de protection et d’hygiène nécessaire ;
- Sensibiliser les détenus sur les mesures préventives et d’hygiène et sur l’accès aux numéros d’urgence pour signaler des cas suspects.
LES SIGNATAIRES :
- Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)
- Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
- Mouvement Ivoirien des Droits de l’Homme (MIDH)/ Côte d’Ivoire
- Observatoire des Femmes actives de Côte d’Ivoire (OFACI)/ Côte d’Ivoire
- Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)/ Cameroun
- Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)/ RDC
- Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme (RDDH)/ RDC
- Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT/TCHAD)
- Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH)/ TCHAD
- Centre d’Information et de Formation en matière de Droits Humains en Afrique (CIFDHA)/Burkina Faso
- Collectif des Organisations de Défense des Droits de l’Homme et de la Démocratie (CODDHD)/Niger