Déclaration publique conjointe
Genève, le 9 mai 2022
Alors que le nombre de cas et de décès dus au Covid-19 continuent de diminuer dans la plupart des régions du monde, les mesures et les restrictions de santé publique sont assouplies à un degré sans précédent. Alors que les gens du monde entier retournent vivre leur vie aussi normalement que possible, les personnes détenues restent largement exclues d’un retour à la normale. Selon des groupes de défense des droits de l’homme et des experts, les restrictions de leurs droits touchent encore aujourd’hui plus de 11 millions de personnes détenues dans des établissements pénitentiaires.
De nouvelles recherches menées par l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) indiquent que les mesures restreignant l’exercice fondamental des droits ont, dans de nombreux cas, été adoptées sans tenir compte des principes de légalité, de proportionnalité et de nécessité et avec un contrôle judiciaire très limité. Dans des pays comme le Honduras, le Togo, l’Ouganda et le Népal, pour n’en citer que quelques-uns, des interdictions générales de visites familiales et d’accès des organisations de la société civile aux lieux de détention se sont étendues sur de longues périodes. En conséquence, des milliers de personnes privées de liberté, dont plus de 250 000 enfants placés dans des centres de détention et plusieurs milliers de personnes détenues dans des lieux ne relevant pas du système de justice pénale, n’ont pas pu voir leur famille depuis deux ans.
Le processus et la méthodologie de recherche incluent la contribution de plus de 70 organisations de la société civile (OSC) et d’experts dans les domaines de la lutte contre la torture, de la détention, de la santé et de la santé publique. Aujourd’hui, ils appellent à une action urgente pour inverser l’isolement et la souffrance que de nombreux détenus continuent d’endurer dans le monde entier depuis que la pandémie de Covid-19 a été déclarée en mars 2020.
Si la préservation de la santé des détenus, rassemblés dans des lieux souvent surpeuplés, doit être une priorité absolue, les réponses doivent être guidées par une approche fondée sur les droits de l’homme. L’égalité d’accès à la vaccination au Covid-19, l’équité en matière de promotion de la santé et de prévention des maladies, ainsi que la nécessité de garantir la santé mentale et émotionnelle et le bien-être des personnes détenues dans les lieux de détention sont cruciales.
Les restrictions de visites imposées par la pandémie ont eu un impact majeur sur la santé mentale et le bien-être émotionnel des détenus et de leurs familles, comme le développe notre nouvelle Note d’orientation “Briser les murs de l’isolement : Assurer le contact avec les familles des personnes privées de liberté dans un monde avec Covid-19”. Des restrictions impliquant la suspension et la réduction des visites ont également été appliquées aux enfants privés de liberté, malgré l’existence de normes et de directives internationales affirmant la nécessité pour les enfants de maintenir un lien social, et en particulier des visites en personne par des membres de la famille et des structures et réseaux de soutien.
Nombre de ces restrictions et protocoles en place n’ont pas été communiqués aux détenus et à leurs familles. En fait, alors que la pandémie de Covid-19 a révélé l’importance accrue de l’information en temps de crise, dans notre nouvelle Note d’orientation “Briser les murs du silence : L’accès à l’information pour les détenus dans un monde avec le Covid-19”, nous mettons en évidence le manque de données officielles, ou la fourniture de données non fiables ou manipulées, sur les cas de Covid-19, les taux d’infection, l’état de santé, les décès de personnes privées de liberté et la couverture vaccinale, entre autres questions d’intérêt public.
Le manque d’accès à l’information et l’isolement collectif auquel les détenus continuent d’être confrontés dans de nombreux pays, qui ont précédé le Covid-19 mais se sont aggravés depuis, ont de sévères conséquences sur le respect de l’interdiction absolue de la torture et des autres mauvais traitements. En outre, le manque de transparence et l’isolement des familles et du monde extérieur sont des facteurs de risque cruciaux pour l’augmentation des tensions et de la violence dans les centres de détention.
L’OMCT, les OSC et experts signataires appellent les États, et en particulier les autorités pénitentiaires et autres autorités de détention, à :
– Respecter le principe de non-discrimination lors de la levée ou de l’assouplissement des restrictions liées au Covid-19. Les restrictions liées au Covid-19 dans les lieux de détention devraient être alignées sur la suppression progressive des restrictions pour la population générale. Toutes les restrictions injustifiées empiétant sur les droits humains fondamentaux doivent être levées immédiatement ;
– Garantir le droit de communiquer avec le monde extérieur et de recevoir des visites régulières : les restrictions aux contacts familiaux, qui sont un droit fondamental garantissant la dignité et le bien-être des personnes en détention et protégeant le droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements, doivent être prévues par la loi, adoptées uniquement lorsqu’elles sont strictement nécessaires (lorsqu’il n’existe pas d’alternatives moins nocives), pour une durée limitée et soumises à un contrôle judiciaire périodique ;
– Garantir l’accès à tous les lieux de privation de liberté aux avocats, aux mécanismes nationaux de prévention (MNP) et autres organes de contrôle indépendants, y compris les OSC, ainsi qu’au personnel médical, avec tous les protocoles sanitaires et de sécurité requis ;
– Soutenir le droit des personnes privées de liberté à recevoir des informations fiables, précises et actualisées. La collecte et la transmission d’informations doivent également viser à faciliter l’évaluation de l’impact de deux années de restrictions ;
– Adopter et rendre public un protocole sur les situation d’urgence ou de crise (que ce soit un nouveau variant du Covid-19 ou toute autre situation), comprenant les mesures à prendre : garantir la transparence (conférences de presse régulières, bulletins, accord avec le MNP, etc.); prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et garantir l’accès à des mécanismes de plainte indépendants ; garantir des contacts significatifs et fréquents des détenus avec le monde extérieur, leurs familles et leurs avocats en particulier ;
– Les personnes privées de liberté qui ont été soumises à un isolement de leur famille et de leur réseau social devraient avoir droit à des mesures compensatoires, y compris l’accès à des programmes de libération anticipée et conditionnelle. L’accès aux services de santé mentale est primordial et devrait être garanti et élargi aux détenus et à leurs familles.
Appeler les organisations de la société civile et le mouvement anti-torture à :
– Se joindre à l’appel à la levée des politiques de fermeture, en s’appuyant sur les motifs de santé, de droits de l’homme, de sécurité et de gouvernance pénitentiaire avancés dans les nouvelles notes d’orientation ;
– Continuer à promouvoir des stratégies, y compris des stratégies de plaidoyer, de campagne et de litige, pour faire reculer l’enracinement de restrictions injustifiées et pour déclencher une augmentation de la transparence dans des administrations de détention traditionnellement opaques ;
– S’engager auprès des organismes internationaux, notamment en soumettant des rapports alternatifs aux organes de traités des Nations unies, afin de fournir des détails sur l’impact de la pandémie et des restrictions qui y sont liées dans les lieux de détention et de plaider en faveur d’un plan de préparation et d’une réponse fondée sur les droits de l’homme en cas de nouvelle épidémie ou d’urgence.
Appeler les chercheurs et chercheuses à :
– Évaluer plus avant l’impact des politiques de fermeture sur la santé et l’intégrité personnelle des personnes privées de liberté, y compris sur leur droit à ne pas subir de torture ou d’autres mauvais traitements ; identifier les mesures d’atténuation et de réparation les plus urgentes et les plus appropriées ; émettre des recommandations pour les phases futures de la pandémie de Covid-19, y compris une éventuelle transition d’un stade pandémique à un stade endémique, et dans le contexte de programmes de réforme à long terme.
Liste des experts et des organisations de la société civile signataires :
– Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)
– Susanna Marietti, coordinatrice nationale, Antigone (membre du Covid-19 Crisis Action Group de l’OMCT) – Italie
– Adam Bodnar, Pologne (membre du Covid-19 Crisis Action Group de l’OMCT)
– SOS Information Juridique Multisectorielle (SOS IJM Asbl) – République Démocratique du Congo
– Documenta – Mexique
– Pastoral Social – Caritas. Diócesis de San Pedro Sula – Honduras
– Advocacy Forum – Nepal
– Centro de Estudos de Criminalidade e Segurança Pública, Universidade Federal de Minas Gerais – Brazil
– United Against Torture Coalition (UATC) – Philippines
– Medical Action Group,Inc – Philippines
– Instituto de Terapia e Investigación sobre las Secuelas de la Tortura y la Violencia de Estado (ITEI) – Bolivie
– Comité de Familiares de Detenidos Desaparecidos en Honduras (COFADEH) – Honduras
– Una Ventana a la Libertad – Venezuela
– Observatorio del Sistema Penal y los Derechos Humanos (OSPDH) de la Universidad de Barcelona – Espagne
– Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo (CACIT) – Togo
– Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) – Tchad
– Changement Social Bénin – Bénin
– Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF ONG)- Republique Démocratique du Congo (RDC)
– Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH) – Côte d’Ivoire
– Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES) – Tunisie
– Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) – Sénégal
– ACAT Italia, Azione dei Cristiani per l’abolizione della tortura – Italie
– Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) – Cameroun
– Comisión de Derechos Humanos (COMISEDH) – Perú
– Asociación Irídia – Centro para la Defensa de los Derechos Humanos – España
– Public Verdict Foundation, Russie
– Bulgarian Helsinki Committee, Bulgarie
– Human Rights Association (İHD) -Turquie
– Association for Human Rights in Central Asia (AHRCA), Ouzbékistan / France
– Africa End Sexual Harassment Initiative (AESHI) – Kenya
– Solidarity Centre – Kenya
– Children’s Fund of Kazakhstan – Kazakhstan
Lire rapport OMCT CACIT AUDF et GIJ-SOS TORTURE sur détention et covid19 :