OMCT et ONG africaines appellent à la déconsidération de sa décision et ouverture d’un dialogue inclusif et constructif.
Communiqué de presse, 30 avril 2020
Abidjan, Genève – Les organisations du réseau SOS-Torture en Côte d’Ivoire et en Afrique expriment leur inquiétude face à la décision de l’État ivoirien de retirer la déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ce qui aura pour effet de priver ses citoyens d’un accès vital à la justice pour des violations graves de leurs droits.
En effet, en contestant une récente décision de la Cour, l’État ivoirien a retiré aux personnes physiques et aux organisations non gouvernementales (ONG) le droit de saisir directement la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), dont le siège se trouve à Arusha en Tanzanie.Dans un contexte pré-électoral caractérisé par des tensions entre plusieurs acteurs politiques et de nombreuses condamnations ciblant directement des candidats à l’élection présidentielle, ce retrait n’aura pour seule conséquence que d’augmenter des tensions potentiellement porteuses de violence.
« En retirant sa déclaration de compétence à la Cour africaine, l’État ivoirien fait le choix de priver les particuliers et les ONG de Côte d’Ivoire d’un accès vital à la justice. Nous craignons qu’à l’avenir l’État ne se dérobe à son obligation de rendre des comptes conformément à ses engagements internationaux, notamment sur des cas de torture et mauvais traitements, ainsi que de détention arbitraire, qui se sont multipliés ces dernières années », affirme Gerald Staberock, Secrétaire général de l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT).A ce jour, 31 affaires en tout ont été introduites par des particuliers et des ONG de Côte d’Ivoire, ce qui représente 11% des affaires devant la Cour africaine. Il y a donc une véritable sollicitation de la Cour par les Ivoiriens, qui y voient un recours judiciaire crédible.
« Dans un pays où le système judiciaire a été profondément critiqué ces dernières années, il est risqué de fermer les voies légales supranationales aux citoyens. Cela ne pourrait leur laisser que l’issue de la confrontation. C’est un risque que notre pays ne peut plus prendre au regard de son passé récent », relève Maître Yacouba Doumbia, Président du Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH)
La Côte d’Ivoire justifie ce retrait, qui prendra effet dans un an, en affirmant que de graves et intolérables agissements de la Cour portent atteinte à sa souveraineté et entraînent une grave perturbation de l’ordre juridique interne. Pourtant, lorsque le président S.E.M. Alassane Ouattara avait reçu à Abidjan, en avril 2017, le président de la Cour, il l’avait assuré du ‘’soutien inconditionnel’’ de la Côte d’Ivoire. De même, en 2019, la Côte d’ivoire avait exécuté une décision récente de la Cour, portant notamment sur la réforme de la Commission Électorale Indépendante (CEI). D’autres recours devant la Cour ont été rejetés au bénéfice de la Côte d’Ivoire, sans que l’État ne s’en formalise.La Côte d’Ivoire prend cette décision juste une semaine après le retrait du Bénin dans des conditions similaires. C’est donc le quatrième pays à retirer aux personnes physiques et aux ONG le droit de saisir directement la Cour africaine, organe judiciaire capital sur le continent face à l’ingérence des États dans les systèmes judiciaires nationaux.
« Nous sommes donc forcés de croire que ces décisions de retrait du Bénin et de la Cote d’Ivoire sont des manœuvres visant à contester non pas la crédibilité de la Cour, mais ses dernières décisions des 19 et 22 avril 2020 en faveur des opposants politiques de ces deux pays. Il est inacceptable que de telles décisions soient basées sur des enjeux politiciens liés aux futures élections présidentielles et privent ainsi l’ensemble des justiciables ivoiriens et béninois de leur droit de bénéficier du contentieux international devant une juridiction africaine. Si l’ensemble des pays africains devaient se comporter ainsi, la Cour serait durablement fragilisée », affirme Ralmeg Gandaho, Président de Changement social Bénin et Point Focal Bénin de la Coalition pour une Cour Africaine Efficace.
Nous invitons les autorités à reconsidérer leur décision et à privilégier un dialogue constructif avec la Cour afin de permettre qu’un recours effectif soit garanti aux citoyens en quête de justice.
Signataires :
- Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)
- Collectif des associations contre l’impunité́ au Togo (CACIT)/Togo
- Mouvement Ivoirien des Droits de l’Homme (MIDH)/ Côte d’Ivoire
- Observatoire des Femmes actives de Côte d’Ivoire (OFACI)/ Côte d’Ivoire
- Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA)/ Cameroun
- Alliance pour l’Universalité des Droits Fondamentaux (AUDF)/ RDC
- Réseau des Défenseurs des Droits de l’Homme (RDDH)/ RDC
- Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT/TCHAD)
- Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH)/ TCHAD
- Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH)/Tchad
- Coalition Burkinabè des Droits de l’Homme (CBDDH)/Burkina Faso
- Collectif des Organisations de Défense des Droits de l’Homme et de la Démocratie (CODDHD)/Niger
- Changement social Benin (CSB)/Bénin